Poème. Engloutis dans la mer de pauvreté (1995).
Par MLJ26-GANDI le mardi 28 avril 2009, 08:09 - CAMBODGE. FEVRIER 2009 - Lien permanent
Chea Chheng est un homme discret, qui s'exprime en anglais et en
français. Il a été notre guide durant la journée que nous avons
passé sur le lac Tonlé Sap.
Il écrit aussi des textes. Son histoire m'a émue, une histoire comme il en existe des milliers à travers le Cambodge, celle d'un père qui a vu sa famille décimée par les privations de l'époque des khmers rouges.
EXTRAIT DU POEME EN KHMER
ENGLOUTIS DANS LA MER DE PAUVRETE
Je souffre, Seigneur
Je souffre jour et nuit
Je souffre à tous moments
Je souffre de vivre
Au Cambodge
Dans les éléments déchaînés
Au milieu de la mer de pauvreté.
Pendant vingt ans, j'ai pagayé
Dans le grand tourbillon de la souffrance
Sous les coups de la foudre et du tonnerre
Balayé par les vents et les averses
Dans la barque des pauvres
Mais sans jamais abandonner
Sans jamais cesser de lutter.
Un jour, en vue de Battambang,
Ma maigre périssoire a donné de la bande
Il y avait sans doute un problème
J'inspectai le bordage
Il y avait un trou dans la coque
Les eaux peu à peu s'infiltraient
La barque lentement s'enfonçait.
Comme j'approchais du rivage
La pluie redoubla de violence
Le ciel n'en finissait pas de rugir
j'écopai sans succès
j'avais perdu espoir
La barque lentement s'enfonçait
s'abîmait dans la mer de pauvreté.
J'attrapai mes enfants pour les poser sur la terre ferme
Comme tu allais me manquer, petit esquif
Qui sombrait pour toujours dans l'immensité pélagique.
J'avais ma fille aînée à la main
Mon fils, agrippé à mon cou
Et mon petit amour, ma petite dernière
A califourchon sur ma hanche.
Pitié pour la barque qui sombre
Pour le Cambodge qui succombe
Cambodge à la peau grise
Cambodge famélique
Sans soins et sans médicaments
Si pauvre, si misérable
Que va-t-il devenir ?
A l'époque du Sangkum
Le pays était digne
Digne de la gloire et des honneurs passés
Digne de la grande race angkorienne
Affermissant les principes
De la vertu et de la Foi bouddhique
Dans l'ombre protectrice du roi.
Puis, dans les années soixante-dix
La crise
Tout le pays chavire
Tout part à la renverse
Même le Très-saint Parasol Blanc
Les familles se démembrent
Au-delà de l'entendement.
Séparés de l'aîné, séparés du cadet
Séparés de l'épouse, séparés des enfants
Séparés du mari, séparés de leurs proches
La grande dislocation des familles !
On n'avait plus personne
On vivait comme des bêtes
Plus affamés que les damnés des enfers.
Et puis après dix ans
Le scandale
Le cauchemar continue
Et toujours séparés
Jusqu'aux années quatre-vingts
On ne mangeait pas à sa faim
On vivait encore en enfer.
Pitié pour la barque qui sombre
Pour le Cambodge qui succombe
Et nous voit tous nager
Au milieu de la mer de pauvreté
Sous la terrible loi des Renonçants
Nos enfants mouraient par milliers
Nous n'avions pas une natte pour leur faire un linceul.
Enfin, après plus de vingt ans
On entendit l'écho lointain
D'une table ronde
Dans la ville de Paris
Qui est une grande ville
Enfin, toutes les factions se réunirent.
Pour résoudre la crise
Pour crever les abcès
Pour apaiser les querelles
On chercha la formule
Pour radouber le navire
Pour renflouer le Cambodge
Pour le tirer de la mer de pauvreté.
Frères Khmers
Voici donc le moment
D'arrêter de souffler sur la braise
D'alimenter les volcans
D'attiser le feu de la guerre
Ayez pitié des paysans
qui ont plongé dans la misère.
CHEA CHHENG. 1995
Traduction : Christophe Macquet.
Pour comprendre cette période, le témoignage
d'un jeune cambodgien, qui a survécu à l'enfer de la dictature des
Khmers Rouges
Commentaires
C'est un texte poignant ,...
merci Marie de nous le faire découvrir .
J'aimerai savoir de quelle décennies date les événement raconter par ce merveilleux texte, mais je n'arrive pas a trouver l'information